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Mushin :

L'absense de pensee

 

Lao_Tseu a dit : " les cinq couleurs rendent un homme aveugle ; les cinq tons rendent un homme sourd ". Si vous ne pouvez seulement voir que cinq couleurs, vous êtes aveugle à la gamme continue des couleurs ; si vous pouvez seulement entendre cinq tons, vous êtes sourd à la plupart des sons. Le monde des couleurs est infini ; forcer les couleurs dans cinq catégories est une forme d'ornière qui restreint la vision. Il faut éviter d'attacher des étiquettes pour que le monde chromatique dans son infinie variété offre toute sa saveur. Plus généralement, le Zen enseigne qu'il faut se méfier de la pensée et du langage car ils formatent les perceptions. Il préconise un état d'inconscience, sans pensée (" mu " signifie vide et " nin " pensée). Aucune pensée ne peut ainsi introduire de distorsion. Seule une certaine spontanéité permet d'appréhender les combinaisons illimitées du monde (voir Katachi). Plus généralement, le Zen met en garde contre toute mise en forme dont le caractère arbitraire ou rigide risque de brider l'esprit.

-- Alfred Korzybski (chercheur en sémantique) La carte n'est pas le territoire

La pensée est une forme de formalisation. L'esprit cherche à capturer le monde dans un filet intellectuel par une série d'image mentale : la mort, l'amour, l'amitié. Cet édifice intellectuel permet de faire des liens entre des expériences mais il ne permet pas de vivre une expérience. Si on n'a pas vécu quelque chose, on peut s'en approcher par des comparaisons, des extrapolations, des sublimations ; on peut s'imaginer dans une certaine situation. Mais le meilleur des fantasmes n'est pas un substitut pour l'expérience vécue. Il existe des niveaux de compréhension émotionnelle qui ne sont pas accessible par la pensée; il suffit d'en vivre l'expérience. Si on a vécu des expériences similaires, on peut extrapoler par la projection. Par exemple aller à l'enterrement d'un parent éloigné peut donner un avant goût de ce que c'est de perdre un être cher : tout le monde pleure le défunt ; la tristesse ambiante est palpable ; on se rend bien compte que quelque chose de terrible est arrivé. Mais cette projection ne prépare en rien à la véritable perte d'un proche.

Autre système de symboles, le langage permet de communiquer. Lui aussi ne propose qu'une représentation imparfaite du monde. Je ne parle pas seulement de simple différence d'interprétation entre individus. Il est par exemple intéressant de réaliser que si les mots se renouvèlent peu souvent, leur sens quant à lui évolue plus rapidement. En d'autre terme, il n'y a pas de correspondance directe entre un signe et son contenu ; la trame sémantique ne cesse d'évoluer. La signification d'un mot peut se modifier, sous l'influence des modes du langage ou à la lumière d'un événement particulier qui marque l'inconscient collectif. Par exemple le mot anglais " booby-trap " est riche en connotations ; la guerre de Yougoslavie ; une guerre fratricide ; plus cruelle qu'entre deux ennemis ; l'impuissance de l'Europe face à la barbarie ; le film " No man's land " qui raconte l'histoire de ce soldat, dont le corps, laissé pour mort, est " booby trapped ". " Mine-piège ", la traduction en Français (" booby " veut dire " crétin "), ne parvient pas à rendre la richesse des évocations, fabriquées par les médias anglo-saxons. Ainsi, il faut se méfier des représentations verbales ; elles sont sources de multiples distorsions et malentendus.

-- Lewis Carroll (Ecrivain et logicien) "There's glory for you!" " I don't know what you mean by 'glory'," Alice said. "I meant, 'there's a nice knock-down argument for you!' " " 'But'glory' doesn't mean'there's a nice knock-down argument'", Alice objected. " When I use a word," Humpty Dumpty said in a rather scornful tone, "it means just what I choose it to mean-neither more nor less."

La formalisation est imparfaite par définition puisqu'elle n'est qu'une projection ; il ne faut pas perdre de vue que le signe ne représente qu'une représentation de l'objet qu'il désigne (son sous-jacent). Un mauvais bouquin sur la spiritualité dirait : sagesse et connaissance intellectuelle ne sont pas la même chose. De plus la formalisation a une fâcheuse tendance à modeler ce qu'elle cherche à représenter ; tout formatage oriente par sa structure. En sémantique, on dirait que dans la relation liant le signifiant (le signe) et le signifié (le sens), le signifiant n'est pas neutre ; il n'est pas un simple messager. Le signe a tendance par son découpage à influencer son sous-jacent.

La pensée formate la sensation. Ainsi quand je regardais les premiers épisodes le La guerre des étoiles dans les années 80, les effets spéciaux me paraissaient réalistes : je voyais des vaisseaux spatiaux se déplacer dans un espace rempli d'étoiles étranges. Maintenant a XXIème siècle et après avoir vu quelques centaines de films d'anticipation de plus, tous utilisant des techniques numériques de plus en plus sophistiquées, je ne vois plus la même chose quand je revois les mêmes scènes. Je vois au travers des effets spéciaux ; je vois des maquettes suspendues à des fils de fer sur un fond de papier crépon noir. Mon interprétation visuelle a changé avec ma maturité cinématographique.

Le signe formate l'esprit. Certains chercheurs en sémantique comme Alfred Korzybski ont attiré l'attention sur le fait que les langues indo-européennes nous enferment dans un modèle de vie discontinue. Le manichéisme des langues indo-européennes nous enferme dans un monde digital (on/off) pétrie de certitudes aristotéliciennes (voir Chotto nai) : un monde binaire qui est bon ou mauvais, vrai ou faux, animal ou végétal, histoire ou géographie… Ces dichotomies sont largement absentes des langues asiatiques qui voient le monde comme un dégradé continu, et qui n'ont pas de difficultés à saisir l'éventail des voies médianes. Ainsi il est difficile de parler, ou même de conceptualiser, la physique quantique (voir Dokyo), ou n'importe quelle notion qui n'a pas de début ou de fin clairement délimités. Les langues indo-européennes représentent essentiellement la réalité par comme des " choses " (le sujet ; représenté par un nom) et des attributs (des prédicats) qui les caractérisent. Cette structure n'est pas non plus innocente. Par exemple le fait de nommer le sujet (e.g. une rivière) lui donne une identité abstraite.

--Héraclite On ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière

L'archipel, largement inspiré par le Zen, utilise autant que possible des représentations imagées pour communiquer (voir Kanji). Le message est convoyé par analogie, association. L'approche abstraite de la description est jugée dangereuse. La communication est analogue (qui s'oppose à digitale). Un exemple trivial : les vitrines des restaurants ordinaires montrent souvent des figurines de cires représentant les mets en guise de menu. Je fais référence surtout à des cantines utilitaires : les descriptions poétiques d'un menu, qui peuvent aider à la mise en scène du plaisir culinaire sont laissés aux établissements plus raffinés. Grâce aux figurines, les attributs de l'appétissant sont présentés d'une manière totalement directe, très proche de la sensation. Le réalisme de certaines de ces figurines est digne du musée de cire Tussaud. De Même, l'état d'inconscience (Mushin) permet de penser en toute spontanéité en évitant les incursions de l'esprit formel (voir Satori).


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