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Satori :

Ou l'illumination Zen

 

Satori est une expérience spirituelle ; elle décrit le foudroyant déclic de l'illumination bouddhiste. Si celle-ci est difficile à décrire pour un non initié, l'approche intellectuelle est facilement accessible. Il suffit d'imaginer Archimède dans sa baignoire qui découvre la fameuse poussée du même nom : " Eureka ! ". Il expérience un processus cognitif dont la violence s'apparente à une illumination. Tout à coup, l'incompréhensible s'illumine devant l'éclair de l'esprit. C'est un processus soudain, dont l'instantanéité contraste avec la lourdeur d'une explication verbale. D'un coté la certitude qu'un petit canard en plastique sera irrémédiablement poussé à la surface quand on le plonge dans son bain, et de l'autre ce lourd exposé : " tout corps plongé dans un liquide subit une poussée proportionnelle au volume de liquide déplacé. "

On croit souvent que la discipline Zen consiste à arriver à l'illumination par un dialogue intérieur. C'est sous-estimer le caractère radical de la démarche intellectuelle : il ne s'agit pas de raffiner une quelconque approche formelle mais d'une révolution de sa métaphysique personnelle. Il s'agit en particulier de complètement changer son rapport au monde pour se débarrasser de ses réflexes analytiques pour une approche spontanée oú la vérité transcendantale est directement accessible. L'enseignement Zen met l'accent sur une maîtrise inconsciente et naturelle. Pour un occidental, il est plus facile de d'y accéder par l'intermédiaire d'une activité comme le Chado, l'Ikebana, le tir à l'arc ou la peinture à l'encre (voir Sumi).

Prenons l'exemple du tir à l'arc, discipline que le Zen a poussé à sa perfection. En se concentrant sur sa cible, la conscience de son action troublera la coordination de l'archer. Pour frapper le cœur de sa cible, celui ci doit maîtriser son art de manière totalement spontanée. L'acte de viser représente pour le maître bouddhique comme une seconde nature. Cette inconscience parfaite se rapproche de celle du débutant. La prétendue " chance du débutant " ne représente rien d'autre que les vertus d'une approche naïve et débarrassée de considérations techniques. Toute fixation sur la pratique se révèle être une distraction. Ainsi, un maître en art martial y voit ce paradoxe :

" Lorsque, après des années de pratiques, vous avez atteint l'étape de la sagesse immuable, vous devez revenir à celle du débutant "

C'est l'apologie du virtuose : les sentiments d'un pianiste sont en prise directe avec sa musique, sans passer par les rouages de la pensée. Il s'exprime directement par son art. Le bouddhisme Zen met en garde contre l'approche analytique, et enseigne que l'expérience doit se manifester spontanément.

Dans certains domaines où la démarche analytique nous apparaît incontournable, cette approche spontanée peut apparaître troublante. Ainsi le système d'adresse à Tokyo peut paraître pour le moins confus. La numérotation est organisée par blocs. Chaque bloc est à son tour divisé en une série de blocs, qui eux mêmec La représentation est fractale. Il faut imaginer ces nouvelles images que l'on voit depuis quelques temps à la télévision, où la caméra plonge depuis l'espace vers la terre dans un zoom continu (je crois qu'on appelle ça un " travelling "), montrant tour à tour la planète, les continents, une ville, un bloc, une vue aérienne du sol qui se rapproche, pour finir sur un gros plan d'une maison en particulier.

Plan de Tokyo comme on peut les trouver sur Internet (chez moi !) :

 

Rien à voir avec nos numérotations linéaires. La répartition des blocs n'obéit qu'à une vague logique et souvent les rues n'ont pas de nom. On ne peut qu'imaginer le cauchemar que rencontre les employés de la poste pour distribuer le courrier. Ce cauchemar est partagé par le commun des mortels chaque fois qu'on vous donne rendez-vous dans un restaurant ou autre lieu public. Chaque sortie peut facilement se transformer en une impossible chasse au trésor. Quel contraste avec un New-yorkais qui peut se contenter de lancer au chauffeur de taxi : " coin de la 6ième et de la 25ième ". Les avenues et les rues de Manhattan portent un numéro en guise de nom dans un quadrillage issue d'une très rationnelle planification urbaine. Il semble que les rues aient été tracées à la règle ; les avenues éventrent l'île du nord au sud, croisant les rues avec une régularité toute industrielle. Il n'est donc pas nécessaire, comme il l'est à Londres d'étudier minutieusement son itinéraire parmi l'enchevêtrement des rues aux noms hétérogènes qui demandent des connaissances de base dans la longue histoire de la Grande Bretagne. Le Japon a la même réponse que la vielle Europe au nouveau monde : il suffit d'utiliser un plan.

Peu importe l'adresse si on possède une carte. Il suffit de s'organiser : si vous faites une réservation dans un restaurant, vous pouvez demander qu'on vous faxe un plan. Si on connaît le quartier, on peut reconnaître l'endroit en un simple coup d'oeil : Eureka ! Nul doute que les New-yorkais regardent le vieux continent avec le même mélange de supériorité et de curiosité que nous réservons à l'archipel. Et, comme les Européens, le Japon considère prosaïque de nommer des rues grâce à des numéros. Un plan donne une représentation schématique du lieu recherché plus poétique que les tristes équations de l'adressage. Certains de ces plans peuvent être assez détaillés (genre carte routière), surtout ceux qui sont disponibles sur Internet, mais la plupart se résument à de simples croquis. Un axe principal, un immeuble phare, une gare ou un monument donne les points de repères, une croix indique l'emplacement de la destination. De la même façon, l'image est devenue abstraite mais sans perdre son caractère de représentation. L'image est devenue signe. C'est cette approche analogue qui sous-tend l'emploie des idéogrammes (Kanji).

Plan de Tokyo : l'image devient signe (à la limite du pictogramme)


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